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Fête

J'ai fêté ce soir ma prime et mon augmentation annuelle. J'ai fait encore mieux que l'année dernière en valeur absolue.

Pourtant le contexte actuel aurait pu inciter mon PDG à ne pas nous augmenter. Souvenez-vous En décembre, le chômage avait augmenté de 45 000 personnes. A l'époque, "c'était un niveau très élevé. Qui plus est, ces chiffres montrent à quel point la situation s'est détériorée en fin d'année". Et aujourd'hui, les journaux nous ont annoncé un peu par surprise que : "le chômage a augmenté de 90.200 demandeurs d'emploi en janvier", soit plus du double que ce qui était déjà très inquiétant en décembre.

Si ma société fonctionne si bien, ce n'est pas parce qu'elle gère les faillites d'entreprise (là aussi un secteur en pleine croissance), mais parce que notre métier c'est l'informatique. Nous faisons et vendons des logiciels qui remplacent les gens en faisant (presque) automatiquement leur travail. Et comme les chefs d'entreprise sont en difficultés ces temps-ci, nous avons encore plus de clients. Et cela malgré le fait que beaucoup de nos clients aient moins d'activité, voire fasse faillite dans le secteur de l'automobile. Mais par chance le secteur automobile ne représente qu'une partie de nos clients. Bref, tout baigne pour nous.

En faisant une estimation du nombre de personnes virées par client, multiplié par notre nombre de clients et divisé par le nombre de personnes travaillant dans ma société, j'ai calculé que je devais me sentir coupable de 30 licenciements. Bien sûr, pour supporter cette idée, les informaticiens (et leur commerciaux) ont inventé de jolis discours expliquant que :
- nous permettons à l'humanité de ne plus faire de tâches pénibles et répétitives : mais non le métier de comptable, n'est pas pénible (quoique un peu répétitif).
- que nous favorisons le développement durable en limitant le nombre d'impression de paperasse inutile : j'ai comme un doute quand je vois le bac à papier rejeté de nos imprimantes et de nos fax.
- que si nous ne le faisons pas d'autres sociétés informatiques étrangères le feraient à notre place : oui, c'est le cas en effet nous avons de la concurrence.
- que permettons à nos clients de devenir plus compétitifs et ainsi de se développer en embauchant plus de personnel : c'est cela oui...

Mais je sais bien que c'est la possibilité de faire plus de profits qui fait fonctionner tout cela. C'est le goût du profit, qui incite les chefs d'entreprises à faire appel à nous. Ma société prélève sa part sur ce gain de personnel et de temps, et m'en redistribue une partie ensuite. Cela ce fait-il au détriment du bien commun ? On pourrait dire que non, si le but ultime du progrès était de faire de nous tous des rentiers, des chercheurs ou des artistes, plutôt que des chômeurs.